Comment nous pouvons nous permettre le bond?
Les gens seront nombreux à lire le manifeste Un bond vers l’avant et à trouver ses objectifs valables et motivants. Toutefois, ils se poseront avec raison les questions suivantes : « Ces idées semblent géniales, mais comment pouvons-nous nous permettre toute l’infrastructure verte et sociale prévue? Un tel plan est-il véritablement abordable et réalisable? »
Questions légitimes.
La réponse, en bref, est « oui ». Nous pouvons nous permettre de faire ce bond. Il ne manque que la volonté politique et la détermination.
Le manifeste en soi offre un résumé des options présentées pour financer cette grande transformation de l’économie :
« Les fonds dont nous avons besoin pour payer cette grande transformation sont disponibles, il ne faut que les bonnes politiques pour les débloquer. Par exemple, l’arrêt des subventions versées à l’industrie des combustibles fossiles, des taxes sur les transactions financières, une augmentation des redevances pétrolières, des impôts sur le revenu plus élevés pour les sociétés et les gens riches, une taxe progressive sur le carbone, des compressions dans les dépenses militaires. Toutes ces propositions se basent sur le principe simple du « pollueur payeur » et sont très prometteuses.
Une chose est sûre, le manque de fonds publics alors que la richesse privée est sans précédent constitue une crise provoquée, conçue pour éteindre nos rêves avant même qu’ils aient eu la chance de naître. »
Ci-dessous, nous précisons ces idées et offrons des liens vers davantage de ressources. Tout d’abord, la majeure partie des demandes contenues dans Un bond vers l’avant sont en infrastructure (infrastructure de transport, liaison ferroviaire à grande vitesse, infrastructure d’énergie renouvelable, bâtiments carboneutres, etc.). Traditionnellement, nous finançons de telles dépenses d’immobilisation par un déficit actif (la vente d’obligations d’État). Les infrastructures sont pertinemment considérées comme étant des investissements, il est donc logique d’en amortir les coûts sur plusieurs années. Une grande part de l’initiative consiste à déplacer les dépenses de nouvelles infrastructures destinées aux projets traditionnels (routes, ponts, infrastructures portuaires et énergétiques, tous conçus pour promouvoir l’extraction et l’exportation des combustibles fossiles) vers les infrastructures vertes dont nous avons maintenant besoin.
Il faut également investir dans nos infrastructures sociales (soins de santé, éducation, logements sociaux et garde d’enfants) et les emplois à faibles émissions de carbone qui leur sont associés. Les redevances pétrolières au Canada doivent être revues d’urgence et bon nombre d’entre elles doivent être augmentées considérablement. Les montants que nos gouvernements provinciaux demandent actuellement en redevances relatives aux produits forestiers, au gaz naturel et au pétrole, et à l’utilisation industrielle de l’eau sont très souvent ridiculement bas. L’établissement de taux de redevances appropriés pourrait générer de nouveaux revenus nécessaires pour les gouvernements provinciaux et les Premières Nations (l’extraction ayant souvent lieu sur leurs territoires), ce qui aiderait ainsi à financer la transition prévue par le bond. Des redevances pétrolières plus élevées peuvent et devraient être attribuées particulièrement aux fonds souverains fédéral et provinciaux au profit des générations actuelles et futures, tout comme la Norvège a réussi à faire avec brio (pour en savoir plus sur ce sujet, consulter le rapport du CCPA de Bruce Campbell : https://www.policyalternatives.ca/publications/reports/petro-path-not-taken).
Comme pour bon nombre des autres options de revenu proposées ci-dessus, l’Alternative budgétaire pour le gouvernement fédéral (ABGF), produite chaque année par le Centre canadien de politiques alternatives, souligne le nombre de taxes (et autres) pouvant générer de nouveaux revenus nécessaires. On doit préciser que les budgets sont une question de choix. Les gouvernements fédéraux qui se sont succédé au cours des 15 dernières années ont imposé des réductions d’impôts (lesquelles profitent aux plus riches de façon disproportionnée), qui ont réduit de 50 milliards de dollars en 2014 seulement la capacité du Trésor public fédéral à dépenser et à investir (des réductions d’impôts provinciaux sur 20 ans ont eu un effet semblable). Ainsi, la « nécessité » des mesures d’austérité des dernières années devrait être considérée comme ayant été provoquée.
On peut consulter l’ABGF ici : https://www.policyalternatives.ca/abgf2015
Voici quelques options :
- Mettre fin aux subventions versées à l’industrie des combustibles fossiles permettrait au gouvernement fédéral de récupérer environ 350 millions de dollars par année (et plus encore si les gouvernements provinciaux emboîtaient le pas).
- Créer une taxe nationale sur les transactions financières pourrait générer 5 milliards de dollars par année.
- Mettre fin au traitement fiscal spécial pour le revenu tiré de gains en capital permettrait de récupérer 7,5 milliards de dollars par année (et plus pour les gouvernements provinciaux).
- Rétablir le taux d’imposition des sociétés au niveau de 2006 pourrait générer 6 milliards de dollars par année.
- S’attaquer aux paradis fiscaux permettrait de récupérer 2 milliards de dollars par année
- Établir une nouvelle fourchette d’imposition de revenu fédérale aux ménages à revenu plus élevé que 250 000 $ pourrait générer environ 3,5 milliards de dollars par année.
- Réduire les dépenses militaires au niveau d’avant le11 septembre permettrait d’épargner entre 1 et 1,5 milliard de dollars par année.
- Éliminer la nouvelle mesure de fractionnement du revenu et les autres réductions d’impôt pour les familles ayant des enfants permettrait de récupérer 7 milliards de dollars par année.
- Établir une taxe nationale sur le carbone d’à peine 30 $/tonne (même niveau que la taxe sur le carbone actuelle de la C.-B.) permettrait de générer 16 milliards de dollars par année.
L’option de la taxe sur le carbone mérite une attention spéciale, étant donné son potentiel unique à faciliter le bond vers l’avant en stimulant des investissements verts de la part des secteurs public et privé. Il faut ajouter que la taxe devrait graduellement être plus élevée que 30 $ par tonne. Marc Lee, dans son rapport Fair and Effective Carbon Pricing réalisé dans le cadre du Climate Justice Project du CCPA, a modélisé une taxe sur le carbone pour la Colombie-Britannique qui augmente progressivement jusqu’à 200 $ par tonne (https://www.policyalternatives.ca/publications/reports/fair-and-effective-carbon-pricing). À ce niveau, la taxe pourrait véritablement toucher les choix de consommation et d’investissement des ménages et des entreprises, aidant ainsi à réduire considérablement les émissions de GES. De plus, elle générerait environ 8 milliards de dollars par année (en C.-B. seulement). M. Lee propose que la moitié de ce revenu soit utilisée pour financer les mesures climatiques et les infrastructures vertes (transport public, modernisation des bâtiments, etc. ainsi que des programmes de transition pour les travailleurs actuellement employés dans le secteur des combustibles fossiles), et que l’autre moitié soit utilisée pour un crédit sur la taxe sur le carbone pour les ménages à faible revenu et à revenu moyen. Un tel crédit signifierait que la situation financière de la moitié inférieure des ménages serait meilleure au net (ils recevraient plus du crédit que ce qu’ils paient pour la taxe sur le carbone plus élevée), améliorant ainsi la progressivité et l’équité du système fiscal global. Une taxe nationale sur le carbone à 200 $/tonne pourrait générer environ 80 milliards de dollars par année.
Pour obtenir la liste complète des rapports du Climate Justice Project, dont bon nombre présentent des idées et des plans pour savoir comment mettre en œuvre les objectifs soulignés dans le manifeste Un bond vers l’avant, rendez-vous à : https://www.policyalternatives.ca/publications/reports/climate-justice-project.
Notre société a déjà réussi à gérer une restructuration majeure de l’économie. Lorsque le Canada s’est engagé dans les Première et Seconde Guerres mondiales, notre économie a dû être entièrement remodelée pour servir une nouvelle mission commune : les minces ressources ont été déployées pour remplir la mission, les obligations de la Victoire ont été vendues, de nouvelles taxes ont été prélevées, la consommation des ménages s’est transformée, les industries de base ont été mandatées pour produire les biens et les produits nécessaires. Par conséquent, le taux d’embauche s’est accru considérablement. Le climat de crise auquel nous faisons face aujourd’hui est-il vraiment différent?
Bruce Campbell est directeur général du Centre canadien de politiques alternatives. Seth Klein est le directeur du CCPA en Colombie-Britannique. Marc Lee est économiste principal auprès du CCPA et directeur du Climate Justice Project du Centre.